Edvard Beneš

Jan 06, 2016 at 20:21 1252

La biographie d’Antoine Marès Edvard Beneš. Un drame entre Hitler et Staline

Antoine Marès, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a écrit une biographie majeure de l’éminent homme politique tchèque Edvard Beneš (Amazon.fr). Il voit son livre comme une contribution qui évite l’hagiographie ou le pamphlet, qui caractérise la littérature consacrée à Edvard Beneš.

De part sa formation parisienne, Edvard Beneš a été “l’un des hommes d’Etat européens les plus francophiles” jusqu’en automne 1938, qui a été une profonde désillusion pour lui. La biographie d’Antoine Marès insiste avant tout “sur la dimension française de son action, primordiale chez lui pendant au moins trente ans.”

Edvard Beneš est une figure politique clef de l’histoire européenne de la première moitié du XXe siècle. D’origine modeste, il a brûlé les étapes pour arriver au sommet de l’Etat “grâce aux circonstances exceptionnelles de la Première Guerre mondiale.” Antoine Marès explique qu’ Edvard Beneš “a été successivement partisan d’une Europe centrale habsbourgeoise fédéralisée, d’une indépendance radicale adossée avant tout à la France et d’un rôle de médiation entre l’Est et l’Ouest qui l’orientait vers l’Union soviétique.” Il a été placé “à la frontière entre deux mondes : celui des Eveilleurs nationaux tchèques du XIXe siècle dont il se considère comme un héritier et celui de la modernité qu’il vit sur un mode socio-économique – jusqu’à la radicalisation extrême des nationalisations de la période 1945-1948 – et politique – par son attachement indéfectible au pluralisme démocratique, même encadré et contrôlé, comme c’est le cas avec le programme de Košice.”

Eduard Beneš, le benjamin de dix enfants, est né le 28 mai 1884 dans une ferme de la petite ville de Kožlany avec ses quelques 300 maisons et 2000 habitants. A son entrée à l’Université, ce fils de paysans se dit “un rationnel anticlérical” au niveau religieux, “un adhérant du matérialisme” au niveau philosophique et “dans le domine social un fervent de Marx”.

En 1903, il a sa première rencontre avec Tomáš Garrigue Masaryk, à l’époque professeur à son Université. Par la suite, il se rapprochera des idées sociale-démocrates de ce dernier.

Edvard Beneš étudie les philologies romane, allemande et slave à la faculté des lettres de l’université Charles à Prague. En 1905, il cherche une expérience à l’étranger et – grâce à l’argent gagné grâce à sa traduction d’un roman de Zola – arrive à Paris, où il peut – grâce à l’Alliance française – s’inscrire gratuitement à la Sorbonne comme étudiant en langues romanes.

Plus tard, il sera déçu par un séjour à Londres au quartier pauvre de Stamford Street dont il retient “la misère, les divisions et la faiblesse du mouvement ouvrier anglais.” Il déplore “le matérialisme, l’égoïsme de classe et l’impérialisme anglais.”

De l’Allemagne, il retient le pangermanisme. Il écrit que, “le dernier des Allemands nous [les Slaves] tient, au plus profond de sa conviction, pour des inférieurs.”

Quant à la Russie, bien que tsariste, elle lui était beaucoup plus sympathique que l’Allemagne.

Le séjour en France lui ouvre également les yeux. Il écrit en 1905 à son frère Vojta: “Imagine-toi qu’on raconte chez nous que nous sommes le plus civilisé de tous les peuples slaves. Durant deux mois entiers, j’ai cherché le moindre signe révélant qu’on connaîtrait ici un peu notre culture, notre histoire, notre littérature, et je n’ai rien trouvé.” (souligné dans l’original). Selon Antoine Marès, ce constat “explique son acharnement à essayer de pénétrer la presse française pour y exposer la situation tchèque.” En plus: “Ce choc éprouvé par les Tchèques quand ils réalisent la méconnaissance de leur pays en France – alors qu’ils cultivaient le sentiment de leur excellence dans la monarchie habsbourgeoise – était amplifié par le contraste entre la société relativement compassée et la légèreté qui régnait dans la capitale française.”

A Paris à 1905, Edvard Beneš fait la connaissance de trois jeunes filles parmi lesquelles se trouvent la blonde Anna Vlčková, née en 1885 et fille d’un employé des chemins de fer. Malgré le fait que le jeune homme estime que les relations sentimentales risquent de ralentir ses projets, le lien se tisse peu à peu entre les deux. Les fiançailles ont lieu le 16 mai 1906 et se marient le 10 décembre 1909 à Prague.

Il n’est pas possible d’étaler ici tous les détails de la biographie excellente écrite par Antoine Marès. Nous nous limitons à quelques remarques plus générales que l’auteur fait dans son livre.

L’action politique d’Edvard Beneš le fait jouer un rôle clef au cours de chacune des phases de sa carrière. Pendant la Grande Guerre, il se distingue comme négociateur à la tête de la résistance tchèque en France. A Paris, il écrit plusieurs livres dont Détruisez l’Autriche-Hongrie en 1916.

En 1918, il obtient le poste de ministre des Affaires étrangères à 34 ans. Il est l’homme fort de la Petite Entente. Il est “le plus francophile des hommes politique de Tchécoslovaquie, à l’époque, et Prague demeure pour Paris le pilier principal de sa politique centre-européenne.” Cette une démocratie exemplaire incarnée par Masaryk.

En tant que collaborateur du fondateur et président de la Tchécoslovaquie, son ancien professeur Tomáš Garrigue Masaryk, il apparaît “naturel, en particulier sur la scène international, qu’il lui [succède] en décembre 1935 à la présidence de la République.”

Antoine Marès souligne cependant qu’une fois “arrivée au sommet, il [est] confronté à la contestation de l’ordre établi par les traités de paix : la Société des Nations, dont il [est] une des figures importantes, ne [contrôle] plus ni l’Allemagne ni les pays insatisfaits nés de l’Autriche-Hongrie, et les forces de remise en cause du statut quo se [mettent] alors en action.”

Ce qui nous ramène au désenchantement d’Edvard Beneš avec la France mentionnée en haut : Les accords de Munich de septembre 1938, suivit par l’invasion des Pays tchèques par l’armée allemande le 15 mars 1939. C’est la fin de l’expérience démocratique et le début de la répression et de l’exile du président de la Tchécoslovaquie, poste qu’il occupe de 1935 à 1948, mais de 1938 à 1946 en exil en tant que président du Gouvernement provisoire tchécoslovaque.

Edvard Beneš se réoriente en décembre 1943 vers l’URSS, qui a gagné une position dominante en Europe centrale. Antoine Marès se demande si c’est du réalisme ou une erreur fatale. La réponse tombe le 25 février 1948, lorsque les communistes prennent le pouvoir à Prague sans que Beneš puissent vraiment s’y opposer.

Quant au machiavélisme dont les détracteurs accusent souvent Beneš, Antoine Marès rétorque que l’on doit se demander quelle a été la marge de manœuvre possible pour la Tchécoslovaquie étant donné qu’à Téhéran, Moscou et Yalta, les grandes puissances se sont plus au moins explicitement mis d’accord sur la répartition des zones d’influences en Europe et, qu’en avril 1945, la libération de Prague a été attribuée à l’Armée rouge.

L’homme politique a vécu trois périodes : l’Europe centrale habsbourgeoise suivi par une phase de l’exaspération des nationalismes et à la fin l’émergence de la puissance soviétique.

Antoine Marès note qu’aux yeux des concitoyens d’Edvard Beneš, son parcours politique mène “de <la gloire à l’abîme, avec quelques rebonds de prestige.> L’histoire [semble] lui donner temporairement raison à ses pronostics au moment de la proclamation de la guerre en septembre 1939, puis lors de l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht le 22 juin 1941 et de la libération de son pays du joug nazi en mai 1945.”

Antoine Marès le considère comme une “figure tragique de l’histoire du XXe siècle [qui] a déclenché des passions et polémiques parfois violentes qui n’ont cessé de se développer après 1948, et surtout depuis 1989, quand la parole des historiens est sortie de la servitude en Pays tchèques et en Slovaquie.”

Dans sa conclusion, l’auteur note que l’attitude Beneš – qui a évite le service militaire en 1914 – reflète la société tchèque en ce qui concerne l’absence de violence politique, car les grandes transformations de 1918, 1938, 1948, 1968 et 1989 se sont déroulées sans affrontements majeurs. „Seule l’expulsion des Allemands constitue une tâche indélébile dans ce parcours attaché à la paix civile et internationale.“

En même temps, Antoine Marès souligne que Beneš n’a pas eu ce charisme dont Max Weber a souligné l’importance. Il remarque que, „fondamentalement, sa tragédie réside dans le décalage entre un projet européen et les moyens d’un Etat de moins de 15 millions d’habitants.“ La situation géopolitique de la Tchécoslovaquie est selon l’auteur plus importante pour son échec que sa personne et son action.

Edvard Beneš démissionne de la présidence de la République le 7 juin juin 1948 alors qu’il est très malade. Il n’a pas le temps d’écrire des mémoires. Il meurt trois mois plus tard, le 3 septembre. Pourtant, il laisse derrière lui de nombreux textes d’autojustification. Antoine Marès est de l’avis qu’ils ont été largement analysés par les historiens, mais qu’ils ne permettent “d’expliquer que partiellement l’action de cet homme d’Etat considérable. D’où l’intérêt d’une biographie <française.>“”

Antoine Marès ne veux pas “trancher entre les tenants de thèses souvent caricaturales qui dressent de Beneš un portrait diabolique ou irénique : ce n’est pas le rôle de l’historien. En revanche, il est de sa mission d’éclairer le passée en évitant les anachronismes. Les actions et les décisions des hommes politiques doivent être appréciées en fonction de leur environnement historique …” Il veut “comprendre plus que juger.” Notamment “comment a été construite et menée une politique étrangère capable de sauvegarder la souveraineté … comment l’espace tchécoslovaque a traversé les affrontements étatiques et idéologiques qui ont déchiré l’Europe et dans quelle mesure Edvard Beneš a pu influer sur ce processus.”

Antoine Marès : Edvard Beneš. Un drame entre Hitler et Staline. Perrin, 2015, 502 pages. Commandez la biographie de Benes chez Amazon.fr. Téléchargez la version digitale / eBook / Format Kindle chez Amazon.fr.

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